Mille Yoga. Un seul Yoga.
Depuis un demi-siècle, le Yoga s'est répandu dans le monde entier, mais bien qu'il soit devenu très populaire, il est souvent mal connu. La diversité des pratiques et des écoles le rend difficile à saisir, sans compter les nombreuses "adaptations" au public occidental qu'il a pu subir dans la forme de son enseignement, ou même dans son contenu. "Gymnastique douce", "méthode de relaxation pour les uns", "technique d'épanouissement personnel" ou "voie de méditation" pour les autres, il semble prendre toutes les formes, toutes les couleurs. On parle de :
La
liste pourrait s'étendre à l'infini car c'est l'essence même du Yoga
que de pénétrer tous les domaines de l'existence humaine pour les
explorer, les harmoniser, puis les unifier et, finalement, les transcender.
S'il fallait un seul mot pour définir le Yoga, ce mot-clé serait:
"unité". Sous ces multiples visages, le Yoga est un, et
il est chemin vers l'unité. Nous allons essayer d'approcher cette
voie de réalisation millénaire pas à pas. |
"YOGA" : à la fois but et moyen
L'étymologie du mot "Yoga" est d'emblée lumineuse. Dérivé de la racine "Yuj", il revêt deux sens principaux qui désignent à la fois son but et le moyen d'atteindre ce but:
"Le
corps est comme un char (Katha Upanishad 3.3) Ce que
propose le Yoga est donc de discipliner le "véhicule" humain
dans ses divers aspects: perceptions et actions, à travers la sensorialité
et la corporéité, émotions et pensées à travers le mental et l'intelligence,
en vue de le placer sous les ordres de son "maître", afin
qu'il accomplisse sa volonté: c'est l'Ame (Atman ), le Soi (Purusha),
cette parcelle divine qui vit en nous, souvent muette et dissimulée,
dans la "caverne du cur". Il est donc à la fois le
moyen , la discipline (sadhana) qui met en jeu, à travers les diverses
pratiques, tous les niveaux de la conscience, et le but, l'Union au
Soi, à cette étincelle divine présente en nous, au centre même de
notre poitrine, comme un joyau caché. "L'atman existait seul à l'origine, sous la forme de Purusha. En regardant autour de lui, il ne vit rien d'autre que lui même. Il prononça d'abord: Je suis. D'où le nom de "moi"; de là vient aussi que, aujourd'hui encore, si l'on appelle quelqu'un, il répond d'abord: "C'est moi", et seulement ensuite il déclare l'autre nom qui est le sien propre." (Brhad-Aranyaka Upanishad I,4.1) Le Soi est la réalité la plus simple dont nous puissions faire l'expérience, et pourtant nous en sommes, le plus souvent, comme séparé (en réalité cette séparation est illusoire, elle est l'illusion même : celle de faire "deux" avec le Soi) car notre conscience se projette sans cesse au dehors et s'absorbe dans les objets du monde extérieur, perdant contact avec son véritable centre et laissant s'installer la croyance en ce que l'Inde appelle la "dualité" (dvaita): sujet et objet, moi et toi... Cet état de conscience erroné est pourtant le partage de tous les humains "non-éveillés" luttant pour la vie dans un monde objectif qui résiste à leurs désirs de possession, de plaisir et de pouvoir... Pourtant le Soi est la seule Réalité. Lui seul est réellement réel. "Quand il y a dualité, l'un voit l'autre, l'un sent l'autre, l'un goûte l'autre, l'un parle à l'autre, l'un entend l'autre, l'un pense l'autre, l'un touche l'autre, l'un connaît l'autre; mais si le seul atman est tout l'homme, qui verrait-il et comment? qui sentirait-il et comment? qui goûterait-il et comment? à qui s'adresserait-il et comment? qui écouterait-il et comment? qui penserait-il et comment? qui toucherait-il et comment? qui connaîtrait-il et comment? comment connaîtrait-il celui par lequel il connaît tout? cet atman ne se définit que par des négations: insaisissable, car il ne peut être détruit; sans attache, car il ne s'attache à rien, sans lien, inaccessible à toute inquiétude et à toute souffrance. Par qui connaître le connaisseur? Maintenant tu as entendu l'enseignement, ô Maitreyi: c'est là tout le secret de l'immortalité." (Brhad-Aranyaka Upanishad IV, 5.15) |
Désir/Acte/Désir : la roue du devenir (samsara)
Vivre
c'est agir sans cesse. L'acte engendre l'acte (karman). L'homme devient
ce qu'il fait et récolte ce qu'il sème. Pour la pensée indienne, la
racine de l'acte, et surtout de la souffrance qui en découle sans fin,
est le désir, qui fait éclater la conscience en un millier de buts à
atteindre, l'écartant toujours plus du seul véritable but: la Réalisation
(samadhi: l'absorption dans le Soi). "Quand
l'on dit: Un tel est ceci, un tel est cela, c'est qu'on devient ce
que l'on est en suivant ses actes, suivant sa conduite. Qui fait le
bien devient bon, qui fait le mal, mauvais ... (Brhad Aranyaka Upanishad, IV,4.5-6) La graine du désir germe et fleurit sans trêve en lui et le pousse à travailler la matière du monde et à s'y impliquer de façon toujours plus complexe. S'attachant de plus en plus aux "fruits" de l'acte, qui libèrent à leur tour de nouvelles semences, il s'enchaîne ainsi indéfiniment à la "noria" des causes et des effets. Ce cercle infernal, en Inde, dépasse même la durée de la vie humaine: l'attachement lié aux actes est tel qu'il engendre des déterminations et des conséquences pour plusieurs vies successives. La mort même n'est pas une solution à la souffrance, puisque l'homme renaît et qu'avec lui renaît la même problématique. C'est la roue de la transmigration (samsara): la conscience reçoit, de vie en vie, des imprégnations (vasana) qui la dispersent sans fin vers de nouveaux actes, de nouveaux buts, de nouvelles déceptions qui ruinent son âme. Car, en définitive, seule la Réalisation est capable d'étancher la soif (trisna) de la conscience tant qu'elle ne s'est pas unie au Soi. Le désir de l'absolu est celui qui abolit tous les désirs, le seul qui n'engendre pas de "karman", mais qui, au contraire contribue à le "brûler". "Quant à celui qui ne désire pas, qui est sans désir, qui est libéré du désir, qui a atteint l'objet de son désir, qui ne désire que l'atman, ses souffles à lui ne s'échappent pas; n'étant rien que brahman (l'absolu), il entre en brahman." (Brhad Aranyaka Upanishad, IV, 4.6) Même si l'on n'adhère pas à la croyance, toute orientale, en la renaissance, le processus "karmique" lié à "l'attachement aux fruits de l'acte "reste valide sur le plan psychologique et moral. L'idée que les actes passés laissent des traces ("samskara") dans la conscience et déterminent une part importante de notre conduite, maintenant et à l'avenir, n'a en soi rien de saugrenu. Il suffit d'observer notre vie, en tentant de démêler le fil des motivations profondes de nos actes et de leurs conséquences pour entrevoir l'imbrication vertigineuse des situations passées, présentes et futures. |
Le Yoga est un des 6 "darshana "(points de vue, systèmes philosophiques) orthodoxes hindous: Samkhya, Yoga, Mimamsa, Vedanta, Vaiceshika, Nyaya. Ce sont les 6 aspects d'une même tradition (l'Hindouisme) reconnus comme autant de voies capables de mener l'homme au but ultime de la vie: la réalisation spirituelle. Parmi celles-ci, le Yoga est la seule voie pratique. Les autres voies s'attachent essentiellement à la connaissance. Le Mimansa se présente comme une réflexion sur les Veda (Textes sacrés) et l'étude des rituels. Le Vedanta est une exégèse des Veda, et développe la philosophie brahmanique. Le Vaiceshika traite de la cosmologie, le Nyaya de la logique. Le Samkhya est traditionnellement associé au Yoga. Il développe l'aspect "théorique" qui sous-tend la pratique du Yoga, définissant et décrivant les processus selon lesquels la nature (prakrti) s'organise à travers les 5 éléments (terre, eau, feu, air, "éther"/espace vide) et les forces cosmiques. C'est l'Esprit (Purusha, identifié à l'Atman, au Soi) qui, sans s'impliquer en elle, insuffle vie à la prakrti ( nature, matière), par essence inerte, lui permettant de se manifester en 3 qualités (guna):
Ces trois forces à l'uvre dans l'univers (macrocosme) et dans l'homme (microcosme), à travers son corps et sa personnalité, voilant la lumière du Soi, obscurcissent sa conscience et la conduisent à s'identifier à l'ego (ahamkara) et à la vie matérielle. Le Yoga représente le moyen de dénouer l'écheveau des conditionnements conscients et inconscients créés et maintenus par les guna, et même de "brûler" les résidus karmiques (samskara) dès cette vie, et d'atteindre la liberté absolue: la "Délivrance"(moksha, mukti). La tâche essentielle du chercheur novice (sadhaka) sera de développer en lui-même l'élément "sattvique" sur tous les plans de sa vie et de sa conscience, éliminant peu à peu les gênes (kleça) qui voilent la lumière du Soi. Le premier texte connu comme présentant le yoga "classique" (les "Yoga sutra" de Patanjali) pourrait avoir été écrit vers le II° siècle av. J.C., et comporte des parties datées du V° ap. J.C... Le Yoga était probablement pratiqué depuis plusieurs siècles avant la rédaction des premiers textes. |
La voie classique
Dans les 3 premiers versets (sutra) des Yoga sutra, Patanjali nous donne un bref aperçu de cette voie. "Maintenant, le Yoga va vous être enseigné, dans la continuité d'une transmission ininterrompue." (Yoga sutra, I,1) Ce premier verset indique que le Yoga ne s'apprend pas seul, mais avec un maître, lui même instruit par son propre maître, selon une chaîne initiatique qui se perd dans la nuit des temps. L'enseignement est transmis d'homme à homme, dans un souci de vérité, d'exactitude et de fidélité à la "tradition" qu'il représente, ce qui est la seule garantie de l'efficacité de la pratique à venir du chercheur (sadhaka). Il est capital de bien choisir son maître.(On est autorisé à le quitter si les résultats attendus ne sont pas obtenus de façon manifeste). Le second verset : "Le Yoga est l'arrêt des fluctuations dans la conscience" (Yoga sutra, I,2) définit la discipline yoguique: mettre en oeuvre les moyens de faire cesser le flux interrompu des états psycho-mentaux qui alternent sans fin à la surface de notre conscience et auxquels nous nous identifions de façon erronée. Si ces moyens sont correctement menés, le résultat escompté se produira de lui-même: la réalisation du Soi, dans le Soi et par le Soi (samadhi): "Alors se révèle notre Centre, établi en lui-même." (Yoga sutra, I,3) |
Les 8 piliers du Yoga
Ces moyens, quels sont-ils? Quelle est la stratégie (sadhana) propre du Yoga? Ce sont les 8 Piliers ou Membres (asthanga), les 8 étapes sur la voie vers l'Unité, données dans l'ordre dans lequel elles doivent être abordées: "Les
huit membres du Yoga sont: Tous les textes insistent sur la nécessité de ne pas brûler les étapes sur cette voie difficile. Le maître compétent est celui qui est capable d'évaluer correctement l'état de son élève à chaque stade de son évolution, car celui-ci court un réel danger s'il aborde une étape sans avoir maîtrisé la précédente. Cela ne signifie pas qu'il doive abandonner peu à peu les pratiques des premiers stades à mesure qu'il avance, mais qu'elles sont devenues siennes, faisant désormais partie intégrante de son être. |
Les aspects extérieurs de la discipline (bahiranga sadhana)
Yama, réfrènements: ce sont les règles de vie universelles permettant de gérer la relation à autrui et de préserver la société humaine du chaos de l'avidité et du profit:
Il s'agit de mener une vie simple et sans excès d'aucune sorte, en accord avec un code de conduite proprement humain à travers lequel l'individu commence à exercer sur ses instincts vitaux une première forme de contrôle. Niyama, observances: ce sont les règles élémentaires permettant à l'individu d'établir en lui-même les bases de l'unification et de l'harmonisation de sa personnalité en vue d'aborder les pratiques ultérieures:
*Le Yoga n'est pas une religion, au sens où il n'y a ni culte ni prêtres-intermédiaires. Cependant, il reconnaît l'existence du divin, d'un absolu transcendant (brahman), un Soi "cosmique" éternellement libéré, qui en fait, n'est pas différent du propre soi (atman) de l'adepte et dans lequel il se fondra.* L'acte voué au Seigneur ne crée aucun lien karmique. A travers lui s'accomplit le renoncement au fruit de l'acte, c'est ce qu'on appelle le "non-agir": il ne s'agit pas de renoncer à agir, en se dérobant à ses devoirs familiaux et sociaux (dharma), mais de cesser de s'impliquer dans ses actions, en les accomplissant le plus parfaitement possible, de façon totalement désintéressée et détachée. "Celui qui, déposant ses actes en Brahman, abandonne tout attachement, lorsqu'il agit n'est pas plus atteint par le mal que ne l'est la feuille de lotus par l'eau." (Bhagavad Gîta, V,10) Asana, postures: l'identification spontanée de l'homme à son propre corps en fait le point de départ de toute technique pratique. Il est impossible d'entamer le long processus alchimique sans un corps en parfaite santé et en pleine possession de ses pouvoirs: force, souplesse, équilibre, unité, vitalité. Le but des asana est d'ouvrir et de fortifier le corps, d'apporter l'harmonie aux organes internes, au système nerveux et au cerveau, fournissant une base de stabilité et de récupération rapide au travail des étapes suivantes. Sa conscience, à la fois, se déploie et s'unifie dans le mouvement et l'alignement propre à chaque asana. A travers les postures, le corps, image réduite de l'Univers, se sent ainsi vivre et vibrer, par le flux et le reflux de son souffle et de son sang dans un accord parfait avec les rythmes naturels. "Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux.", cet ancien précepte gravé au fronton du temple de Delphes fait un écho saisissant à la démarche d'intériorisation du Yoga visant l'identification du microcosme au macrocosme. L'intelligence (buddhi) s'éveille dans le corps, à travers l'infinité des postures, inspirées de toutes les formes de vie: minérales (la Montagne...), végétales (l'Arbre, le Lotus), animales (la Sauterelle, le Poisson, le Lion, le Cobra...), humaines , mythiques (Sages, Héros), divines (Dieux, Puissances), et explore ainsi, de l'intérieur, la création toute entière, qui est une, à travers dans son extraordinaire profusion. La quintessence des postures est la plus simple qui soit, du moins en apparence: la posture assise, jambes croisées (en tailleur -sukhasana-, ou en Lotus -padmasana-, ou en sidhasana, du Réalisé). Pourquoi? Parce que c'est dans cette pose que toutes les autres pratiques se feront ( tenue du souffle, méditation) et que l'adepte doit donc être capable de la tenir longtemps sans dommage, de façon à ce que, du début à la fin de sa pratique, elle reste stable, ferme et agréable (sthirasukha). cette posture, qui immobilise les jambes et le tronc, crée un alignement idéal de toute la colonne vertébrale, du centre du périnée (muladhara) jusqu'au sommet de la tête (sahasrara) permet l'oubli et le silence du corps, condition première du recueillement et préambule à toute méditation. |
Les aspects intérieurs de la discipline (antaranga sadhana)
Pranayama, contrôle du souffle: l'allongement du souffle et son contrôle requièrent un apprentissage long et difficile. Vouloir agir sur le Souffle de vie lui-même est une entreprise risquée, comparable au domptage (yama) d'un animal sauvage et demandant une patience infinie. "Le dressage des lions, des éléphants et des tigres demande beaucoup de temps et de prudence, de la même manière le prana (souffle) doit être maîtrisé lentement et progressivement selon la capacité et les limites physiques de chacun. Sinon il tuera l'élève." (Hatha Yoga Pradipika, II, 15) La constance et la régularité sont plus que jamais nécessaires pour que les effets escomptés se manifestent: apaisement du cur, des désirs, des passions, préfigurant la stabilisation, le rassemblement de l'esprit. "Lorsque
la posture est fermement établie, le yogin, maître de lui-même, prenant
une alimentation nourrissante et modérée, doit se consacrer au pranayama
selon la voie enseignée par son guru (maître). Lorsque le souffle
est agité, l'esprit est agité. lorsque le souffle est immobile, l'esprit
est immobile. Ainsi, en contrôlant son souffle, le yogin atteint la
stabilité. C'est pourquoi il faut contrôler le souffle. (Hatha Yoga Pradipika, II, 1/3) Pratyahara, retrait des sens, d'ordinaire constamment sollicités vers les objets extérieurs, qui sont dirigés vers l'intérieur, créant ainsi un état de recueillement profond qui va être cultivé dans les étapes suivantes. Les organes de perception et d'action (indriya), qui sont les portes et les fenêtres du corps vont se fermer au monde extérieur, isolant l'être entier des stimuli sensoriels pour focaliser et concentrer la force mentale en portant une attention soutenue "en seul point" (ekagrata). Généralement en fixant la pointe du nez, ou encore le point situé entre les sourcils. Les indriya sont les chevaux du char "humain" que l'intelligence-cocher doit dompter pour ne pas se laisser entraîner par eux; ils les réunit d'abord sous le même harnais, puis, les tenant fermement, il les immobilise et les garde sous contrôle afin de ne pas subir leurs impulsions désordonnées mais, au contraire, de leur imposer sa volonté propre. C'est à travers le pratyahara que le yogin se libère de l'attraction des 3 guna, prenant la source de sa joie, non plus à l'extérieur, mais en lui-même. "Les
plaisirs nés de contacts externes, en vérité, engendrent la souffrance,
car... ils ont un commencement et une fin... (Bhagavad Gîta, V,22/28) |
La discipline de l'Ame (antaratma sadhana)
Dharana, concentration. Les trois dernières étapes du Yoga sont regroupées sous le même terme (samyama), car elles concernent des états transcendants qui, à terme se confondent. A présent, le travail entamé sur les sens va s'intensifier et se renforcer sur le plan mental. Dharana est à proprement parler la concentration mentale. L'organe mental, ou sens interne (manas) reçoit la lumière de l'intelligence (buddhi)- lumière qui est un simple reflet du Soi lui-même - qui n'est plus parasitée par les messages sensoriels et les imprégnations que celles-ci produisent. Ici interviennent, pour soutenir le rayonnement de l'intelligence, les supports de méditation. On peut utiliser un mantra (formule magique), comme la syllabe sacrée "AUM". un mandala(représentation symbolique des chakras, ou centres énergétiques jalonnant la colonne spinale, ou de l'univers), ou un sujet métaphysique (l'identité atman/brahman), ou encore une divinité (Vishnu, Shiva...). Dhyana, méditation, contemplation: la concentration est stabilisée et régulée; l'intelligence, telle un miroir parfait ou la surface d'une eau immobile, réfléchit la pure lumière du Soi. Lumière intérieure installée en son centre et rayonnant dans l'être entier. L'intelligence reçoit ainsi, dans une intuition parfaite, l'essence même de l'Etre dont elle ne se perçoit plus comme différente. L'Unité est réalisée, l'Union accomplie. "Là où la pensée, suspendue par la pratique du Yoga cesse de fonctionner, et là, percevant le Soi dans le Soi et par le Soi, on trouve sa satisfaction là où on éprouve cette béatitude infinie que perçoit l'intellect mais non les sens, si l'on s'y établit fermement, on ne s'écarte pas du réel." (Bhagavad Gîta, VI, 20/21) Samadhi, absorption, intégration: ici est atteinte la transcendance absolue; l'absorption dans le Soi est totale et irréversible. "Enstase" ou "extase de l'intérieur": Rentrée en Soi. Le Délivré-vivant (jivan-mukta) réalise enfin que, de toute éternité, "le Soi est déjà atteint", car il ne s'en distingue plus et vit désormais en unité absolue avec Lui. C'est en même temps un état d'isolement total (kaivalya) au sens où il a désormais perdu tout lien avec son ancien état d'être, entrant ainsi dans le "yoga sans contact", réalisant que depuis toujours: "Il est non-né, sans sommeil, sans rêve, sans nom, sans forme, pour toujours resplendissant, omniscient"... (Mandukya Up., kar. III, 36) Loin d'être pour autant isolé des autres êtres, il intègre en lui la création toute entière, de l'intérieur, par son point central, omniprésent. "En
effet le bonheur suprême envahit l'ascète au mental apaisé qui, ayant
calmé en soi les facteurs de turbulence, est devenu Brahman et sans
souillure. (Bhagavad Gîta, VI, 27/31) L'expérience du samadhi est indescriptible, incommunicable, car le Soi ne se laisse , ni qualifier, ni déterminer: il n'est "ni ainsi, ni ainsi" (neti, neti) disent les Upanishad; présent en tout et au-delà de tout on ne saurait le décrire autrement que comme "être-conscience-béatitude" (sat-citt-ananda). Joie infinie. Vie infinie. A ce stade, le yogin est devenu à son tour un "maître" (guru, de "gu": ténèbres, et "ru": connaissance: le guru est celui qui peut faire passer des ténèbres de l'ignorance -avidya-, à la lumière de la connaisssance-prajna-). Ayant fait l'expérience de la vérité, il est capable de transmettre l'enseignement qui permettra à d'autres de l'atteindre. Ayant goûté à la liberté absolue, il choisit, le plus souvent, de retarder le moment de l'absorption dans un samadhi sans retour (qui lui ferait quitter ce monde) pour se consacrer, avec compassion à la transmission de cet enseignement qu'il avait lui-même reçu. Ainsi est maintenue vivante la tradition du Yoga depuis des temps immémoriaux. |
Le yoga aujourd'hui
Comment aborder le yoga
aujourd'hui et le vivre au quotidien?
ASANA
Vous pouvez aborder la pratique des "asana" (postures de yoga), quelque soit votre âge ou votre condition physique, à condition de le faire sous la supervision d'un professeur expérimenté. Le premier cours étant en principe gratuit, n'hésitez pas à visiter plusieurs salles avant d'arrêter votre choix. Le yoga a été élaboré dans un but d'émancipation spirituelle. Il n'en est pas pour autant une religion, et vous pouvez le pratiquer dans le seul but d'en retirer des bienfaits "purement physiques". le champion de tennis Mac Enroe a déclaré devoir son come-back au yoga, et l'équipe nationale Indienne de cricket (championne du monde) l'inclut dans son entraînement: les étirements spécifiques du yoga constituent le meilleur échauffement et la meilleure prévention possible contre les claquages musculaires. Alors que l'organisme est soumis à rude épreuve lors d'une pratique sportive poussée (perte de sels minéraux, production d'acide lactique, épuisement), le yoga renforce les différents systèmes physiologiques. Enfin, grâce à l'étirement puissant dans lequel sont réalisées les postures, le yoga peut apporter des solutions à deux maux caractéristiques de notre société, le stress et le mal de dos. Ces postures sont regroupées en différentes familles:
La séance de yoga va donc s'articuler selon les axes définis plus haut, autour d'un thème particulier: étirements vers l'arrière, ou vers l'avant, etc.... Si elle est bien menée, l'élève ne cesse, pendant 1h30mn, de fixer son attention sur son corps. C'est déjà le début de la concentration et de l'arrêt des fluctuations du mental. Contrairement à une idée répandue, le yoga n'est pas une gymnastique douce. La précision et l'alignement avec lesquels doivent être effectués chaque posture exige de l'exécutant une intensité physique d'autant plus importante que les "asana" doivent être tenus un temps nécessaire pour en recevoir les bénéfices. |
PRANAYAMA
La médecine Ayur-védique (traditionnelle indienne) professe que le corps est animé de différents souffles, sur lesquels nous n'avons pas d'action consciente. Ils sont néanmoins régis par la respiration qui, elle, peut être "domestiquée" (voir plus haut). En stabilisant la respiration, on stabilise les souffles internes, et le mental. "Prana" désigne le souffle, l'âme, et l'énergie cosmique qui pénètre et soutient tout l'univers (cf. le pneuma des grecs). Le yogin, par sa pratique respiratoire qui concerne à présent les organes internes, se met ainsi en harmonie avec l'univers. Ce n'est qu'après un an ou deux de pratique posturale que l'on aborde généralement le Pranayama. Les parties du corps qui participent à la respiration doivent jouir d'une bonne souplesse. en effet, pour que le prana, élément subtil, pénètre le corps du pratiquant, celui-ci ne doit effectuer sa respiration ni avec sa gorge, le ventre, ou par les côtes, mais uniquement par le mouvement fin et libre du diaphragme. Le Pranayama est un complément indispensable de asana, dont il vient rafraîchir l'intensité, et prépare au retrait des sens (Pratyahara). |
SHAVASANA
Shavasana ou la posture du "cadavre": c'est la posture, dite de "relaxation" qui clôt pratiquement toutes les séances. C'est, en fait, une posture, où la conscience, tout en étant dans la détente la plus profonde qui soit, reste en éveil. Le corps parfaitement immobile (c'est le sens de l'analogie au "cadavre"), les sens dirigés vers l'intérieur, l'esprit en repos, c'est en shavasana que l'on peut goûter quelque chose du Pratyahara ( retrait des sens) et même des états méditatifs ultérieurs. Un seul petit pas sur le chemin est déjà une partie du trajet. La progression régulière et constante dans la pratique du Yoga rend ses effets cumulatifs et bien tangibles. Le corps s'harmonise, l'esprit se clarifie, la personnalité toute entière s'éclaire et s'épanouit. Il n'est pas nécessaire d'avoir d'emblée une motivation spirituelle. On peut s'adonner au Yoga dans le simple but d'améliorer sa santé ou son bien-être. Dans la mesure où l'on avance dans sa pratique avec sincérité, intensité et ouverture, il est certain qu'une dimension spirituelle se manifestera d'elle-même tôt ou tard dans la personne. Car c'est en soi, à travers soi et par soi-même seulement que toute réalisation est possible. Aujourd'hui, plus que jamais, le Yoga apporte à l'homme moderne des réponses à ses questions ( quel est le but de ma vie? d'où vient-elle et où va-t-elle?... ) et des solutions à ses problèmes immédiats (stress, déséquilibre des fonctions organiques et émotionnelles) et lointains (stabilité mentale, bien-être, élargissement et approfondissement de la conscience). Il n'est pas nécessaire de vivre en ermite pour l'expérimenter au quotidien, il suffit de se placer en son propre centre, source de toute joie, à chaque instant de la vie. |