YOGA : UN ART DE VIVRE
Un corps intelligent
"Vivre totalement dans le corps, c'est vivre totalement dans le Soi" Ce qui frappe d'emblée dans le Yoga de B.K.S. Iyengar, c'est la place prépondérante qu'il accorde aux asana (Postures). Aujourd'hui encore, à 75 ans, il aime à participer à des démonstrations, seul ou avec ses élèves. Lorsqu'il donne une conférence, il appuie immédiatement ses dires en prenant telle ou telle posture. C'est dans et par son corps, qu'il vit totalement le Yoga comme un art, qu'il joue, de tout son être, comme le dit Yehudi Menuhin, "sans aucun instrument"... Le corps (sharira) n'est pas pour lui, pas plus que pour les sages des anciens temps, limité à l'enveloppe charnelle que l'on peut voir et toucher. Ce que nous considérons d'ordinaire comme étant le "corps", n'est que la partie visible et tangible de ce que la pensée indienne nomme globalement "champ de conscience" ou "champ mental" (citta ). Le Yoga considère que l'ensemble du "véhicule" humain est composé de 3 corps (sharira) où s'interpénètrent 5 "gaines" (koshas). "Le corps comprend trois parties, elles-mêmes composées de plusieurs gaines. Le corps grossier, appelé sthula-sharira, correspond au corps physique ou anatomique annamaya-kosha (1). Le corps subtil, ou suksma-sharira, est fait de la gaine physiologique pranamaya-kosha (2) , de la gaine mentale manomaya-kosha (3) et de la gaine intellectuelle (vijnananmaya-kosha (4) . Le corps le plus intérieur, duquel tous les autres dépendent, est connu comme étant le corps causal, ou karana-sharira. C'est la gaine spirituelle de la joie anandamaya-kosha (5) . Quand toutes ces gaines sont unifiées dans chacune de nos milliards de cellules- quand il y a unité entre chaque cellule et le soi, entre le corps physique et la totalité de l'être- alors la posture est une posture contemplative où nous atteignons au plus haut degré de contemplation dans l'asana . Ceci est connu comme étant l'intégration (6), que Patanjali décrit dans le troisième chapitre des Yoga Sutra, et qui inclut l'intégration du corps (sharira-samyama), l'intégration de la respiration (pranasamyama), l'intégration des sens (indriya-samyama), l'intégration du mental (manah-samyama), l'intégration de l'intelligence ou de la connaissance (buddhi-samyama ou jnana-samyama) et, finalement, l'intégration du soi dans la totalité de l'existence (atma-samyama)".(Tree of Yoga p48/49) Si la pratique posturale vise essentiellement à développer la fermeté et la souplesse du corps pour le maintenir dans un état de santé parfaite, elle n'est pas limitée à une pratique "physique". Le corps physique, s'il est la base de tout travail, est aussi le point de contact avec notre univers intérieur: "La peau renferme toutes les gaines et tous les corps. Elle doit être ferme et sensible au moindre mouvement. Toutes les gaines se confondent à leur différents niveaux depuis la peau jusqu'au Soi". (Lumière sur le Pranayama, p 29) L'alignement est l'axe du travail postural. Il n'y a "asana" que si un alignement correct de la structure corporelle peut être créé à travers la symétrie de l'étirement, de façon à maintenir conjointement la direction de la posture et le centre de gravité en équilibre. Pour obtenir ceci, tout, dans le corps, doit être rendu vivant : "Dans les postures, l'intelligence doit être uniformément répartie." "Laissez votre intelligence pénétrer également à travers le corps jusqu'à ses extrémités, comme les rayons du soleil." La perception des sensations doit être d'abord affinée et étendue au corps entier (articulations, muscles, ligaments, os, peau, organes internes...) car c'est à travers elle qu'apparaissent et se développent les signes de la propagation de l'intelligence, finalement les seuls vrais repères du pratiquant, outre les corrections qui lui sont données de l'extérieur par son enseignant. "Etirer" signifie "créer un espace", ouvrir un passage à la conscience et au mouvement là où il semble, parfois, qu'il n'y ait aucune issue possible. En introduisant une opposition entre deux points d'ancrage, deux forces œuvrant dos à dos: l'espace libre naît juste entre les deux, au point médian. Ce processus est mis en œuvre, simultanément, dans les différents segments du corps. La posture se construit alors sur l' alignement particulier de ces points-clés, maintenus sous contrôle, qui s'étagent à partir du contact du sol (du dessous du pied au dessus du pied, du pied à la cheville, de la cheville au genou, du genou à la hanche, etc.) sur tous les axes du corps (pieds, jambes, hanches, buste, épaules, bras, nuque, tête). L'égalisation des rapports entre tous ces points est ensuite nécessaire pour garder un alignement juste et constant, c'est à dire, pour assurer la stabilité et l'harmonie de la posture: "Pour amener le corps à un alignement correct, vous devez travailler avec le corps entier. Pour amener le corps entier à un alignement correct, vous devez travailler une à une chaque parcelle du corps. Dans la posture, aucune partie du corps ne doit être gardée inerte... Votre être entier devrait être symétrique. Le Yoga est symétrie." La posture peut ensuite évoluer, à la mesure de l'état intérieur et du degré de réalisation du pratiquant. Celui-ci devient capable, en développant sa capacité d'attention, de repérer les zones inertes ou incorrectes afin de les réajuster à tout moment: "L'auto-correction vient avec la perception". Chaque posture induit des modifications physiologiques qui vont influencer le cerveau, le système nerveux, et donc l'état émotionnel et mental de façon spécifique. Un infime décalage dans l'alignement de la nuque, de la tête et des épaules suffit à déranger le bien-être et l'état de calme du corps entier, même quand celui-ci est totalement immobile, comme en shavasana (7) , perturbant aussitôt l'esprit . De même, l'état intérieur d'une personne se reflète dans l'attitude posturale: en état de stress, ou d'agitation mentale, l'activité du cerveau se projette vers l'avant du visage, le regard, dont le champ est rétréci, se jette en avant, entraînant la conscience corporelle à l'avant du corps de façon "agressive", tandis que le dos reste inerte et les pieds instables. Quand le cerveau est calme, il repose à l'arrière de la tête, et c'est à partir de là que le regard s'ouvre à l'infini, dans la quiétude, le corps tout entier s'installant en son centre, comme "adossé" à la colonne vertébrale, et fermement établi à l'arrière des jambes, les pieds stables et ouverts sur le sol. Un sentiment de bien-être, de sécurité , d'éveil et d'ouverture au monde se répand dans l'ensemble de l'être. C'est ainsi que les préceptes éthiques du Yoga viennent s'intégrer naturellement à la pratique posturale: "Si le cerveau est silencieux mais attentif pendant les postures, votre pratique est non-violente (8) ". Le corps et l'esprit ne sont pas deux entités séparées, ils s'imbriquent de telle façon dans le tissu de l'être qu'il est impossible de savoir où finit l'un et où commence l'autre: "Le corps est une partie du mental et le mental est une partie du corps. Ils sont interconnectés, intertissés. Les 8 aspects du Yoga sont contenus dans une posture, dans un souffle." C'est dans et par le corps, qu'il nous est donné de vivre, à chaque instant, la totalité de notre être: l'union est la non-séparation, la non-fragmentation de la réalité, à commencer par notre propre personne. L'attitude "morale" du pratiquant s'exprime dans son corps, à tout moment: sa sincérité (satya), l'intensité de son effort (tapas), l'harmonie ( au sens de respect de soi et d'autrui: ahimsa ), etc. Si sa posture est instable, si son souffle est forcé, s'il ne va pas jusqu'au bout de ses capacités, ce n'est pas du "yoga": "Si votre corps peut faire mieux et que vous ne le faites pas, votre pratique n'est pas éthique". "Les Yama et Niyama sont impliqués dans chaque posture, dans chaque respiration." (9) Une attention et une acuité constante, non seulement pendant le temps de la pratique posturale, mais à chaque instant de la vie quotidienne, sont les seules garanties d'une attitude cohérente. Le yoga ne s'arrête pas quand la posture est finie. La quête de la réalisation n'est pas mise entre parenthèse quand on passe à d'autres occupations. "Un code de conduite doit être suivi, que vous soyez debout ou assis."9 Tant que l'esprit est établi en lui-même, attentif, ouvert, alerte et paisible à la fois, ne considérant rien ni personne comme lui étant étranger, le corps s'établit lui aussi dans une pratique véritablement "spirituelle", en toute pureté et sincérité: "Pourquoi penser à la libération au futur? La libération est dans les petites choses, ici et maintenant. " Asana nous établit au cœur du Présent. "Quand il y a enfin une totale présence dans l'action, sans aucune fluctuation dans l'étirement, alors l'action conative karmendriya (10), l'action cognitive jnanendriya (11) , l'action mentale (manas) et l'action réfléchie (buddhi) se rencontrent pour former une conscience totalement en éveil du Soi jusqu'à la surface de la peau, et de la peau jusqu'au Soi. Ceci est la pratique spirituelle du Yoga." (Tree of Yoga, p48)
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annamaya-kosha: gaine de la nourriture
Un souffle libre "Comme les feuilles d'un arbre bougent dans le vent, votre esprit bouge avec votre souffle." "Si vous comprenez comment distribuer le Prana, vous pouvez accomplir l'union des énergies de l'individu et de l'Univers." Le Prana est bien plus que le souffle ou l'air inspiré. Il est la vie même -vie et conscience-, l'énergie vibrante qui anime chaque particule de l'univers macrosmique, chaque cellule de l'univers microcosmique. Pénétrant tous les plans de la réalité, du plus grossier au plus subtil, il est le Principe primordial en lequel tous les êtres prennent leur racine: la Personne Cosmique (Purusha), le Soi (Atman). Dans l'intimité individuelle, il imprègne le corps physique, le corps subtil, et les différents niveaux de notre champ de conscience (citta). "Prana et conscience (citta) sont en contact constant l'un avec l'autre. Ils sont comme des frères jumeaux. Il est dit dans les textes de Yoga que tant que la respiration est paisible, le prana est paisible, et par suite, l'esprit aussi est paisible. Toutes les formes de vibrations et de fluctuations sont immobilisées quand le prana et la conscience sont calmes, détendus et silencieux. Connaissant cette connexion entre la respiration et l'état de conscience, les sages yogis de l'Inde ont préconisé la pratique du pranayama, qui est le véritable cœur du yoga." (Tree of Yoga, p124) C'est la respiration qui, déterminant la qualité et la distribution de l'énergie vitale, détermine notre état intérieur. Quand cette énergie vitale est perturbée, l'esprit erre sans repos hors de son propre centre, se perdant dans les méandres de ses fluctuations internes (sensations, émotions, pensées, suivant leur propre cours, en dehors de son contrôle), ou dans l'infinité des sollicitations extérieures qui l'agitent de droite et de gauche, et le déportent sans cesse hors de son axe. Que ces perturbations de la conscience citta vritti (1) prennent leur origine en lui ou hors de lui, l'esprit devient agi et dépendant, vulnérable aux influences, aux humeurs, et aux contingences de toutes sortes. Et tant qu'il n'est pas établi en lui-même, il n'est pas pour lui de liberté, de vraie vie, de bonheur durable. Le yoga est traditionnellement défini comme l'art de discipliner l'esprit "Yoga-citta-vritti-nirodhah" (2); le pranayama est le coeur des techniques yogiques car , à travers lui, le pratiquant agit directement sur le système physiologique qui tient l'organe mental (manas) sous contrôle: le système respiratoire. La médecine ayurvédique (3) considère que les fonctions principales du corps sont entretenues par cinq "souffles" (prana-vayu), ou courants vitaux: -prana: localisé dans la région thoracique, contrôle la respiration -apana: dans le bas-abdomen, contrôle l'excrétion et la reproduction -samana: dans la région stomacale, contrôle la digestion -udana: dans la gorge, contrôle l'absorption de l'air et de la nourriture, et l'expression vocale -vyana: contrôle la circulation dans tout le corps de l'énergie extraite de l'air et des aliments. Le Pranayama (de prana: souffle, et ayama: extension, régulation, contrôle), qui signifie littéralement "allongement du souffle", se propose, en prolongeant la durée de la respiration, de prolonger, dans le même temps, la durée de la vie même, ainsi que sa qualité. Il désigne l'ensemble des techniques de régulation de l'énergie par la maîtrise du souffle, car en agissant sur le prana* à travers les techniques respiratoires, c'est l'ensemble de ses fonctions vitales que l'on cherche à dynamiser et à harmoniser. "Le but du pranayama est de faire fonctionner au mieux l'appareil respiratoire, ce qui améliore automatiquement l'appareil circulatoire, lui-même indispensable à une bonne digestion et une bonne élimination. Si l'appareil circulatoire est déficient, les toxines s'accumulent, les affections se répandent dans le corps et un mauvais état de santé s'installe. L'appareil respiratoire est la porte ouvrant sur la purification du corps, de l'esprit et de l'intellect. La clef en est le pranayama." (Lumière sur le Pranayama, p35/36) Les avantages ne sont pas purement physiques (santé, vitalité, longévité), mais aussi psychologiques et mentaux (apaisement du système nerveux, stabilité émotionnelle, augmentation des capacités d'attention et de concentration, équilibre et force intérieure). La respiration ordinaire se fait automatiquement, et reste, la plupart du temps, superficielle. La technique pranayamique, en guidant l'air tout au long de son trajet, dans les trois mouvements du souffle (4), s'applique essentiellement à ralentir, à prolonger et à approfondir la respiration de façon à augmenter progressivement la capacité respiratoire. L'amplitude respiratoire étant améliorée, la circulation sanguine s'intensifie, apportant un surcroît d'oxygène à toutes les cellules du corps. Le système nerveux en est le grand bénéficiaire, le cerveau est apaisé et rendu disponible pour une approche des états méditatifs. "Patanjali parle aussi d'une quatrième méthode de Pranayama (5). La première méthode est l'inspiration; la seconde, l'expiration; la troisième est la rétention ,sur l'inspir et sur l'expir; et la quatrième méthode survient quand l'effort de contrôle disparaît dans un non-effort à travers la maîtrise d'asana. En premier lieu, le pranayama est délibéré, et laborieux, mais c'est seulement quand il devient totalement sans effort qu'il est maîtrisé. Ceci est kevala kumbaka (6) , ce qui signifie pure ou simple kumbhaka - la rétention qui se produit d'elle-même, survenant naturellement et sans aucun effort. Dans kevala kumbhaka, il n'y a aucune pensée. Il n'y a aucun mouvement de pensée, interne ou externe. Dans ce pranayama spirituel, vous ne pouvez rien penser, si ce n'est que vous existez. Le Pranayama se situe à la frontière entre le monde matériel et le monde spirituel, et le diaphragme est le point de rencontre du corps physiologique et du corps spirituel. Si, quand vous retenez votre respiration, votre esprit sombre au bout d'un certain temps, ce n'est pas kumbhaka. Même si vous comptez 'Un, deux, trois, quatre", vous avez perdu la divinité- vous avez perdu la paix. Souvenez-vous que Kumbhaka ne consiste pas à retenir le souffle; mais à retenir l'énergie. Kumbhaka, c'est réaliser le véritable coeur de l'être qui est amené dans le corps. Vous ne pensez plus, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur. Ayant contrôlé les mouvements qui se produisent à l'intérieur, comme à l'extérieur, vous voyez que dans le silence aucune pensée ne se produit. Quand vous ne pensez plus du tout, où est l'esprit? Il se dissout dans le Soi." (Tree of Yoga, p129/130) C'est lorsque le souffle devient totalement libre que l'on est libéré du souffle. Là où il n'y a plus ni expir, ni inspir, ni effort de rétention, le souffle (prana) et l'esprit (manas) sont absorbés simultanément. La conscience s'intériorise et entre en contact avec son propre centre. Toute dualité disparaît. Le Soi se révèle à lui-même. L'immobilisation du souffle neutralisant, dans le même temps, les facultés sensorielles et les facultés mentales, le Pranayama est la porte ouvrant sur la rétractation des sens (pratyahara) et la concentration (dharana) . "Lorsque les sens, le mental et la conscience se sont détournés de l'emprise des objets extérieurs pour se diriger vers l'intérieur, vers le Soi, ceci est le pratyahara."(Yoga sutra, II,54) "Pratyahara est habituellement traduit par "retrait des sens". Cela signifie que les sens se rétractent, de la périphérie de la peau, vers le coeur de l'être: l'âme. A l'instant où l'esprit devient silencieux, le Soi repose en sa demeure et l'esprit est dissous." (Tree of Yoga, p62) Cessant de dépendre des impressions externes (venant des objets sensibles), l'esprit (manas) se tourne vers la lumière de l'intelligence (buddhi)(7) pour y puiser le pouvoir de discernement et se libérer également de l'emprise des impressions internes, liées à la mémoire (smriti) et aux imprégnations liées au passé (vasana). Ainsi commence un étrange et mystérieux voyage à rebours vers la source de cette lumière7 : source de toute Lumière, l'étincelle divine du Soi. "Cet acte d'aller à contre-courant de la mémoire et de l'esprit est pratyahara. Avec l'aide de l'intelligence, les sens commencent un voyage intérieur et retournent à leur point d'origine. Ce processus de peser ses instincts, ses pensées et ses actions, est la pratique de la renonciation (varaigya). Le détachement des affaires du monde et l'attachement à l'âme est pratyahara."(Tree of Yoga, p64)
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Vritti: agitation, perturbation, conditionnement, état d'esprit, comportement
La vie Totale "La vie totale est samadhi." L'intégration (samyama) désigne les trois états transcendants représentant l'achèvement de Yogasthanga (les 8 Membres du Yoga): dharana (concentration), dhyana (méditation), samadhi (absorption). A travers les degrés ultimes de sa réalisation, l'être, échappant progressivement à l'emprise des conditionnements psychiques, conscients et inconscients, vient se fondre avec la source de sa propre lumière intérieure, pour vivre enfin de cette vie que les anciens textes décrivent comme "être-conscience-béatitude" sat-citt-ananda (1). Grâce à la mise en repos des sens, du cerveau et de l'esprit (manas) obtenue à travers le pranayama et le pratyahara, le pratiquant (sadhaka) est entré en contact direct avec l'intelligence (buddhi). Il va, désormais, travailler à intensifier son pouvoir d'attention, puis à la réguler de façon à restaurer peu à peu l'unité de son champ de conscience (citta), habituellement disjoint par l'expérience de la dualité (2) Car l'attention est la clef de l'ensemble du champ de conscience: si l'on arrive à la focaliser sur un point précis, excluant par là tout le reste, le flux mental s'oriente tout entier vers lui. Si l'on parvient ensuite à maintenir cet état de concentration, l'état de méditation s'installe: "La concentration (dharana) consiste à fixer la conscience en seul point." (Yoga sutra, III,1) "Lorsque le flux de cette attention sur un seul point est rendu stable et ininterrompu, c'est la méditation (dhyana)." (Yoga Sutra, III,2) "Dharana signifie attention ou concentration: c'est un moyen de focaliser l'attention sur un trajet particulier, un point ou un endroit particulier à l'intérieur ou à l'extérieur du corps. Dharana est le contrôle exercé sur les fluctuations de la conscience pour qu'elles convergent vers un seul point. En dharana, on apprend progressivement à diminuer les fluctuations mentales de façon à éliminer, finalement, toutes les vagues ou marées de la conscience, de sorte que le Connaisseur et l'objet de connaissance ne fassent plus qu'un. Quand la conscience maintient son attention, sans altération ou mouvement de vague, avec une intense vigilance, alors dharana devient dhyana, ou méditation. "(Tree of Yoga, p139) "Quand l'attention disparaît, la concentration disparaît, l'intelligence disparait et la conscience disparait aussi. Mais à l'instant où vous êtes attentif, votre intelligence est concentrée.Cette concentration, c'est dharana, et quand l'intelligence et l'attention ne fluctuent pas mais demeurent constantes, c'est la méditation (dhyana). Parce qu'il n' y a aucune interruption dans l'observation, il n' y aucune interruption dans le flux de l'intelligence, il ne se produit aucune disparition de l'attention, aussi, le sujet et l'objet deviennent un. En dharana, le sujet et l'objet demeurent distincts (3) , ceci parce que vous devez vous concentrer pour ramener le regard du sujet vers l'objet, ou pour tirer l'objet vers le sujet. Mais à l'instant où l'objet se dissout dans le sujet et où le sujet s'oublie lui-même, c'est le samadhi. Il n'y a alors aucune différence entre moi et l'objet de ma contemplation. A l'instant où l'objet et le sujet s'unissent, il n' y a plus d'objet, plus de sujet; il y a l'âme." (Tree of Yoga, p118) L'éveil de l'intelligence (buddhi) dans le corps entier et sa répartition uniforme, de la périphérie de la conscience (localisée dans le cerveau, en tant qu'il synthétise les données des sens de perception et d'action) à sa racine (au centre du cœur, demeure du Soi), garantit la qualité de l'attention du pratiquant, qui n'a désormais d'autre tâche que de la maintenir, dans sa pureté et son intensité, à chaque instant de sa vie. S'il survient au cours de la pratique (posturale, pranayamique ou méditative), dans un cadre d'expérience privilégié (calme, isolement), cet état d'éveil et d'unité profonde peut être assez facilement maintenu. Mais il en est tout autrement dans le cours des activités quotidiennes: "Vous pouvez pratiquer la méditation et développer un éveil dans votre conscience quand vous êtes tranquillement assis dans un parc, et cela vient tout à fait aisément. Mais quand vous êtes occupé à travailler, votre vie est aussitôt dominée par les pensées et c'est très difficile d'avoir un éveil total de la conscience. Quand vous pratiquez asana, pranayama et pratyahara, vous apprenez à être totalement conscient - vous développez l'éveil de la conscience dans votre corps entier quand vous êtes engagé dans l'action. Alors vous pouvez devenir totalement éveillé en toutes circonstances. Dans un parc, pendant que vous regardez un arbre, vous vous oubliez vous-même et vous ne faites qu'un avec l'univers. Pourquoi ne pouvez-vous pas apprendre à ne faire qu'un avec votre propre univers intérieur- c'est à dire votre soi, et votre corps- ? Cette façon de regarder la vie quotidienne, c'est l'éveil total, l'intégration totale et la méditation totale." (Tree of yoga, p 145) Les états méditatifs peuvent expérimentés à tout moment de la vie, tant que notre pratique intérieure se poursuit, sans aucune rupture, au cœur même de la pratique posturale ou dans toutes nos autres activités: "Je ne médite pas en m'asseyant dans un coin mais à chaque instant de ma vie, en quelque position que je pratique, en chaque posture." (Tree of Yoga p70). L'état de méditation est un état d'être qui ne nécessite pas qu'on se coupe de la vie pour pouvoir y goûter. Ici et maintenant, sur notre tapis de yoga, ou en n'importe quelle circonstance, nous pouvons faire acte d'une présence totale à nous-même, de la périphérie du corps au centre de l'âme, et nous ancrer dans cet état d'unité qui est l'essence même du Yoga: "N'est-ce pas une pratique spirituelle aussi longtemps que le mental ne vagabonde pas dans la posture?" "Lorsque vous faites Tadasana (4) , si vous êtes attentifs de la plante des pieds jusqu'à la tête sans fluctuations de l'intelligence, il y a équanimité de la conscience. Pour employer un autre terme, c'est la conscience absolue. Ce qui veut dire que la conscience n'est pas fragmentée, divisée. Il n'y a aucune fluctuation. A l'instant où elle dévie, vous vous oubliez. Si vous introduisez l'absolu, qu'arrive-t-il? La totalité se révèle. Si vous faites les postures en totalité, alors le divin est présent. Vous êtes dans un état de divinité. Dans ce moment, même la quête pour l'atman n'existe plus. Le saviez-vous? Parce que l'âme s'est soudainement révélée." (5) Si le Yoga est un art difficile, il n'exige de nous qu'une sincérité absolue. La connaissance de soi commence au niveau le plus évident, le corps physique, pour gagner les couches les plus subtiles de la conscience, jusqu'au noyau central de l'être. Cette exploration nous fait repousser sans fin les limites de notre liberté et de notre vie. "Tant que le fini n'est pas connu, comment pouvons-nous atteindre l'infini?" (Tree of Yoga, p151)
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Sat-citt-ananda : être-conscience-béatitude ( de sat: être, citt:
conscience, ananda: joie, béatitude ), désigne l'état du Réalisé (siddha),
ou Délivré-vivant (jivan-mukta)
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